Article sur Libération.fr
Selon Libération, les gays turcs sont encore plus "euroenthousiastes" que le reste de leurs concitoyens. «Nous avons presque les mêmes problèmes, les mêmes difficultés que les homosexuels d'Europe, mais, au moins, eux ont leurs droits inscrits dans les codes civil ou pénal de leurs pays respectifs, alors que nous n'en avons pas», souligne Umut Guner, représentant du Kaos GL, un des deux groupes qui luttent pour la défense des droits des gays.
La grande majorité des Turcs n'aime pas les «pédés» et l'homosexualité est régulièrement dénoncée, notamment par les islamistes, comme une «déviation» sinon une «maladie». L'héritage des Ottomans, très tolérants en la matière, est bien oublié. Les médias font d'un côté l'éloge des célébrités, artistes, chanteurs, mannequins ou stylistes gays ou lesbiens, mais critiquent voire insultent les homosexuels ou les travestis qui luttent pour leurs droits, et ceux qui sont contraints de se prostituer dans les quartiers riches d'Istanbul.
Bannis de la société turque, les homosexuels ont quand même préparé une proposition de loi, avec le soutien d'un député social-démocrate, qui a préféré garder l'anonymat, «pour la reconnaissance de l'identité sexuelle et des autres droits des gays et lesbiennes». Composée de 12 articles, inspirée de la législation hollandaise, cette proposition de loi avait été rejetée d'emblée lors de la première lecture en commission. «C'est normal dans un Parlement machiste où il n'y a aucun député revendiquant publiquement son homosexualité», explique un avocat qui souligne aussi le profond conservatisme moral de la majorité parlementaire, le Parti de la justice et du développement, issu du mouvement islamiste, qui avait débattu pendant de longues séances, à l'automne dernier, sur «les méfaits de l'adultère».
Alors que la Turquie déploie beaucoup d'efforts pour réformer sa législation en vue d'adopter l'acquis communautaire, la question des droits des homosexuels reste largement taboue. Déclarer sa préférence sexuelle reste un exercice à haut risque. Nombre d'intellectuels, cinéastes, journalistes ou romanciers, dont l'homosexualité est connue, refusent de prendre position sur le sujet «afin d'éviter un lynchage public».
«Les Kurdes, longtemps non reconnus, ignorés, bafoués, ont plus ou moins gagné leurs droits et maintenant il faut que l'Etat et la société nous accordent les nôtres», réclame Aysel, travestie prostituée à Istanbul. Son quotidien, comme celui de milliers de ses pairs, reste très difficile. «Notre existence même viole la loi en vigueur», précise-t-elle, évoquant notamment les dispositions du code pénal sanctionnant «l'exhibitionnisme». Aysel se souvient d'une amie assassinée : «Les deux meurtriers, arrêtés et jugés, ont bénéficié d'une réduction de peine car la victime était un travesti.» Aysel rêve de l'Union européenne : «J'ai été à Francfort et j'ai vu les libertés dont jouissent nos confrères et consoeurs.»
Longues procédures. La police des moeurs est souvent très dure avec ces travestis qui «menacent l'ordre public en plus de l'ordre moral», selon une déclaration récente d'un commissaire de police. Les homosexuels peuvent, s'ils le désirent, se libérer du service militaire obligatoire en Turquie après de longues, compliquées et humiliantes procédures bureaucratiques et médicales. Dès lors, tout emploi dans le secteur public leur sera définitivement interdit. Mais même dans le privé ce n'est pas simple de trouver un poste pour un homosexuel qui s'affiche ouvertement. «Il nous faut de bonnes lois, une bonne application de celles-ci, mais surtout un changement des mentalités», revendique Serdar Soydan, militant de Lambda, l'autre groupe de défense des droits des gays et lesbiennes, qui ajoute en souriant: «La route de la Turquie vers l'UE nous donne un peu d'espoir.»
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